CP. Votre roman s’enferme difficilement dans un genre littéraire précis mais si vous deviez le qualifier en quelques mots…
ASM. Je définirais mon roman comme une ode aux idées, une exploration de la nature des idées et de l'idéologie qui nous constituent. Je m'intéresse à la manière dont les idées apparaissent, comment elles se développent et se répandent pour remplir tous les espaces qu'elles peuvent remplir.
J'ajoute que si les idées, dans un roman, sont comme l'alcool dans une boisson, qu'il y a des romans à 5° comme la bière, d'autres à 12° comme les vins légers, j'avais envie de faire un livre plus proche de la Tequila ou du rhum agricole traditionnel. Celui qui lit mon livre du début jusqu'à la fin risque en effet, d'être un peu troublé, même enivré.
Dans le cadre de mon roman, il s'agit d'une vaste entreprise créée par LoveStar qui détient le pouvoir de proposer une société améliorée où le besoin de consommation est devenu une nécessité vitale à l'épanouissement humain.
CP. Comment est née l’idée de cette histoire absolument hallucinante ?
ASM. Cette idée émane de plusieurs directions ; à la fois issues du réel mais aussi inspirées par d'autres romans. Et mon inspiration provient spécifiquement d'auteurs tels que Boulgakov, Vonnegut et Orwell.
Cette idée est née aussi de ce qu'on appelle en anglais "paradigm shift", c'est-à-dire la transformation radicale de notre manière de vivre. Toute la technologie de l'information, les connexions permanentes inhérentes à cette nouvelle façon de vivre ont été à l'origine de ce roman. L'atmosphère qui régnait à l'époque en Islande (le livre a été écrit en 2002) était extrême. C'était précisément le moment de l'ascension du capitalisme à outrance, l'époque aussi où les Islandais avaient vendu à une société privée leur patrimoine génétique et où la nature et l'environnement étaient aussi de moins en moins respectés.
CP. Aviez-vous une intention précise (autre que littéraire) en l’écrivant ?
ASM. Lorsqu'on écrit un roman c'est toujours dans un but littéraire mais c'est aussi parce quelque chose nous pousse, nous met en route. Je percevais, dans la société, un mode de pensée nouveau que je souhaitais explorer. Comme la petitesse de l'homme par rapport à l'immensité du système.
Le directeur de l'entreprise dans mon récit qui développe un tout nouveau mode de vie (basée sur la consommation) se retrouve lui-même dépossédé des idées qu'il a engendrées et qui sont développées par d'autres. Il n'a plus aucune influence sur le développement de ses idées.
CP. Au-delà de l’amusement, quel message philosophique, politique ou moral souhaitiez-vous faire passer en priorité ?
ASM. Au début, mon livre ne devait être qu'une parodie, écrite pour la beauté des mots car j'aime écrire et aussi pour m'inscrire dans une tradition littéraire assez forte, déjà évoquée.
Parfois certains messages apparaissent sans qu'on ait vraiment eu l'intention de les faire passer. Ce livre a sans doute été pour moi une opportunité d'explorer la société de consommation actuelle et de dénoncer cette absurdité qui fait que tout doit être constamment neuf. C'est en quelque sorte une manifestation de mon opposition à ce capitalisme commercial. Un livre écrit cette fois pour la beauté du geste politique.
Prenons l'exemple du désert intérieur islandais (Miðhálendi). Certains politiciens ont eu à dire que ce lieu inhabité et peu fréquenté par les touristes, était sans doute peu aimé et peu utile. Aussi face à ce désintérêt avéré, il devenait urgent de s'y intéresser et pourquoi pas de mettre en œuvre une politique de développement industriel pour y fabriquer de l'énergie. Remplir le vide en quelque sorte.
Je veux montrer comment l'économie de marché nous envahit complètement et comment la consommation s'introduit partout. Les échanges humains ne semblent plus qu'être des échanges commercialisés. Ils deviennent soit monnayables, soit monnayés. Dans mon roman, je pousse ces relations à l'extrême et par exemple, lorsqu' un personnage parle avec un ami de sa Honda, il essaie en fait de lui vendre une voiture. Ici, on assiste à un éparpillement total du commerce (plus du tout cantonné à des zones commerciales ou à des magasins) répandu absolument partout dans la société et contaminant chaque relation humaine. De même, avant il y avait d'un côté la presse et l'information et de l'autre la publicité. Maintenant tout semble vouloir se mélanger. En 2002, cette espèce de contamination se pressentait.