Dans le même genre, Pierrick recommande la lecture de Le Turquetto de Metin Arditi (Babel, 8 euros)
Se pourrait-il qu'un tableau célèbre - dont la signature présente une anomalie chromatique - soit l'unique œuvre qui nous reste d'un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne : un élève prodige de Titien, que lui-même appelait "le Turquetto" (le petit Turc) ? Né de parents juifs en terre musulmane (à Constantinople, aux environs de 1519), ce fils d'un employé du marché aux esclaves s'exile très jeune à Venise pour y parfaire et pratiquer son art. Sous une identité d'emprunt, il fréquente les ateliers de Titien avant de faire carrière et de donner aux congrégations de Venise une œuvre admirable nourrie de tradition biblique, de calligraphie ottomane et d'art sacré byzantin. Il est au sommet de sa gloire lorsqu'une liaison le dévoile et l'amène à comparaître devant les tribunaux de Venise.
Solange
Je viens d'Emmanuelle Bayamack-Tam (POL, 19,90 euros)
Je viens vérifie la grande leçon baudelairienne, à savoir que le monde ne marche que sur le malentendu. Je viens mouline les sujets qui fâchent, le racisme qui a la vie dure, la vieillesse qui est un naufrage, la famille qui est tout sauf un havre de paix. Je viens illustre les lois ineptes de l'existence et leurs multiples variantes : l'amour n'est pas aimé, le bon sens est la chose du monde la moins partagée, les adultes sont des enfants, les riches se reproduisent entre eux et prospèrent sur le dos des pauvres, etc. Mais pour accablante qu'elle soit, la réalité devrait pouvoir s'écrire sans acrimonie, dans une langue qui serait celle de la farce ou du vaudeville : Je viens, c'est aussi la proclamation par Charonne de sa volonté de redresser les torts, de parler contre les lois ineptes et de faire passer sur le monde comme un souffle de bienveillance qui en dissiperait la léthargie et les aigreurs.
"Je viens" : elle arrive, Charonne, pour sauver le monde, en particulier sa grand-mère et sa mère adoptive, les deux autres femmes de l'histoire (pas sûr qu'elle y arrive). Charonne, la plus mal partie dans l'existence, mais qui au racisme, au narcissisme, à la rancœur, à l'impossibilité d'aimer, répond par une bienveillance, une énergie, un amour à toute épreuve. Charonne, sauvée dans l'enfance par la découverte de la lecture, des contes, du pouvoir des mots.
"Je viens" dit des choses terribles, cruelles mais aussi l'espoir, sur un mode tragi-comique, souvent outrancier, où l'humour l'emporte.
Esprit d'hiver de Laura Kasischke (livre de poche, 7,10 euros)
Lorsqu’elle se réveille ce matin-là, Holly, angoissée, se précipite dans la chambre de sa fille. Tatiana dort encore, paisible. Pourtant rien n’est plus comme avant en ce jour de Noël. Dehors, le blizzard s’est levé ; les invités ne viendront pas. Au fil des heures, ponctuées par des appels téléphoniques anonymes, Tatiana devient irascible, étrange, inquiétante. Holly se souvient : l’adoption de la fillette si jolie, treize ans auparavant, en Sibérie… Holly s’interroge : « Quelque chose les aurait suivis depuis la Russie jusque chez eux ? »
C'est un livre qui se lit d'une traite tant le suspense est bien entretenu. Comme le personnage principal, on ressent d'abord un léger malaise, puis une angoisse de plus en plus forte, entretenue par l'ambiance d'isolement et d'enfermement. On cherche à comprendre, on suppose la folie de la mère ou de la fille, on sent que la fin sera terrible. Et là, vraiment, on n'est pas déçu !
Retour à Watersbridge de James Scott (Seuil, 21,50 euros)
1897. Une sage-femme regagne sa ferme dans le nord de l'Etat de New York, où l'attendent les corps ensanglantés de son mari et de ses enfants gisant dans la neige. Tous, sauf un : Caleb, 12 ans, qui s'était réfugié dans la grange et a tout vu. Mère et fils s'élancent dans une contrée hostile et glacée à la poursuite des trois tueurs aux foulards rouges. Au fil du récit, traversé par plusieurs épisodes d'une violence sèche, digne d'un western, le lecteur comprend que leur quête de vengeance repose sur une imposture.
1er roman très réussi d'un jeune auteur américain, roman noir et âpre qui associe la sauvagerie de la nature et celle des hommes. Une histoire violente sur le secret, le mensonge, la culpabilité, les liens du sang. La 2ème partie, malgré des scènes magnifiques, souffre de quelques longueurs.
Une terre d'ombre de Ron Rash (livre de poche, 7,30 euros)
Laurel Shelton et son frère Hank vivent au fond d'un vallon encaissé des Appalaches. Marquée par une tache de naissance, Laurel est considérée comme une sorcière. Hank, revenu de la Première Guerre mondiale, y a laissé une main. Isolés, bannis, ils mènent une vie fastidieuse et solitaire. Mais lorsque Laurel rencontre un mystérieux joueur de flûte, sa vie bascule.
Encore un roman où la nature hostile occupe une grande place, une histoire sur la vie dure, les ravages de la guerre, la superstition et la bêtise humaine.
Une belle histoire d'amour qui raconte une courte embellie, le retour de l'espoir dans la vie tragique d'un beau personnage féminin. Une lecture très agréable.