Philida d’André Brink (Actes Sud, 23 euros)
Afrique du Sud, 1832. La jeune esclave Philida, tricoteuse du domaine Zandvliet, a eu quatre enfants avec François Brink, le fils de son maître. Lorsqu’il se voit contraint d’épouser une femme issue d’une grande famille du Cap, dont la fortune pourrait sauver l’exploitation familiale, François trahit sa promesse d’affranchir Philida, et envisage de la vendre dans le Nord du pays. Celle-ci décide alors d’aller porter plainte contre la famille Brink auprès du protecteur des esclaves. Tandis que les rumeurs d’une proche émancipation se répandent de la grande ville aux fermes reculées – l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique sera proclamée en 1833 –, l’opiniâtre Philida brise peu à peu ses entraves au fil d’un chemin jalonné de luttes, de souffrance, de révélations, d’espoir.
Inspiré par l’histoire d’un parent de l’auteur, ce roman, conforme à l’œuvre engagée d’André Brink et tout imprégné de l’histoire de l’Afrique du Sud, raconte, essentiellement à travers le regard d’une femme noire, Philida, l’abolition progressive de l’esclavage, son combat douloureux et acharné vers la liberté, les relations éprouvantes, violentes et sordides entre maîtres et esclaves, la chute d’un système féodal.
Marqué par une langue poétique ponctuée de mots afrikaans, d’une tonalité sèche, âpre et cruelle, le récit se déploie, comme un mélange de voix distinctes, rythmé d’abord par celle de Philida, l’esclave, abrupte et sans fard, poignante et sincère puis contrebalancé par celles de Frans et Cornelis, les maîtres, fils et père, plus construites et distantes, parfois pathétiques, parfois répugnantes et hostiles.
Sans doute incapables de rivaliser avec la puissance et le courage qui émanent des paroles de Philida, les mots des maîtres rendent compte pourtant, avec éclat, des états d’âme de cette communauté rurale de colons de souche sud-africaine, contrainte dans ses traditions et ses fortes croyances religieuses, et offrent à ce roman une densité et une complexité passionnantes, à l’image de l’histoire de ce pays, et toujours significatives du combat militant qu’André Brink mène par l’écriture depuis longtemps déjà.