CP. Votre écriture adopte une légèreté et un humour décalés, amuse le lecteur autant qu’elle le déstabilise. Vous intriguez autant que vous divertissez. L’équilibre est-il simple à trouver, naturel ou au contraire, très travaillé ?
Einar Már Gudmundsson. Dans tous mes livres se mêlent des événements tragiques à des événements comiques. Quand on écrit un roman, il s’agit de trouver l’équilibre entre la lumière et les ténèbres. A Tangavik, par exemple, il se passe des événements terribles. Un naufrage plonge le village dans une tristesse sans fond. Toutes les familles sont touchées. Mais de la même manière, lorsque le village décide de s’amuser, il va dans l’extrême inverse, plonge dans une joie irrépressible.
De la même manière, il y a longtemps, lorsque j’ai écrit “Les anges de l’univers”, j’ai écrit à propos de mon frère qui s’est suicidé. Il était malade psychiatrique. Mais dans ce livre il y a aussi beaucoup d’humour et de légèreté.
Même si j’écris sur des gens qui peuvent paraître extrêmement bizarres, ces gens-là, en tant qu’auteur, je les aime, j’ai de la tendresse pour eux. Je les apprécie.
Au départ, je voulais écrire une nouvelle sur le personnage principal Arnfinnur Knudsen. Et en fait, en travaillant sur ce personnage, je me suis pris au jeu. Je le trouvais amusant, distrayant et au final j’ai écrit un roman.
J’avais le projet d’écrire sur un traître, un escroc mais en fait mon personnage n’est pas seulement une figure d’escroc. Certes, c’est un homme très à droite mais malgré tout, il va soutenir les élèves très à gauche, eux, au moment où ils font des conneries dans le lycée. Il a beau être à droite, il est multi-facettes.
C’est souvent comme ça avec les repris de justice. Quelquefois on se demande si l’Etat ne devrait pas leur verser un salaire d’artiste plutôt que de les mettre en prison. Et quelquefois aussi ce sont les artistes qui sont des repris de justice. Certains.
J’essaie de travailler avec la sagesse populaire et ensuite je la mélange avec des analyses sociales et la joie de raconter. C’est important la joie de raconter.
CP. Les événements ne se succèdent pas selon un ordre chronologique, les histoires de famille sont découpées, abandonnées puis reprises plus tard, inscrites dans un contexte historique islandais, les personnages, nombreux (et les noms difficiles à retenir pour nous Français), vont et viennent dans un joyeux désordre et l’impression d’ambiance déjantée et farfelue, d’exubérance aussi maintiennent le lecteur dans un état inhabituel. S’il ne perd pas pied, il n’est pas toujours à l’aise. Qu’en dites-vous ?
Einar Már Gudmundsson. A propos des noms d’abord. Dans les années 80 quand la littérature islandaise a commencé à être plus traduite à l’étranger et lorsque les écrivains Islandais avaient envie d’être diffusés sur des marchés plus grands, certains se sont posé la question de modifier les noms islandais de leurs personnages pour qu’ils deviennent plus accessibles aux lecteurs étrangers. En fait, dans ma 1ère traduction, mon traducteur danois et moi, on a changé les noms et puis on a compris que c’était une connerie absolue. Pourquoi les Français ne réussiraient-ils pas à apprendre nos noms puisqu’on apprend bien les vôtres dont certains très bizarres aussi pour nous ? Quand j’ai lu 100 ans de solitude, je n’ai pas trouvé si difficile d’apprendre le nom de tous les personnages.
Ce qui fait la diversité du genre humain c’est que nous avons tous finalement des noms bizarres les uns pour les autres mais là est notre richesse.
Si le lecteur perd pied, il peut relire l’histoire, non ?