Cependant, le travail d’éditing au retour, a été très important et relativement long. En effet, il s’agissait pour moi de choisir dans les milliers de photographies, les 70 à 80 photos que m’avait demandées Emmanuel. Mon intention était de faire un choix qui corresponde à ma vision de ce territoire. J’ai voulu écarter toutes celles qui ne participaient pas à donner une image mystérieuse et énigmatique du continent. Toutes celles qui me semblaient trop illustratives. Ce que j’ai cherché dans mes photographies ce sont des images qui participaient à écrire ce qui était pour moi l’essence de ce territoire, et du voyage que j’y ai fait.
Par exemple, la photo de la page 208 -209 (l’Homme qui marche) est pour moi l’une de celle qui restera de ce voyage. Elle a d’ailleurs servi de couverture pour mon livre Les Ombres Claires* et devait composer la couverture de la Lune est Blanche. Elle n’a rien de spectaculaire. Mais elle représente pour moi ce voyage, l’aventure humaine et fraternelle. En effet, la solitude de cet homme qui marche, le fait qu’il semble s’apprêter à sortir du cadre, qu’il soit aussi sombre que son ombre, aussi énigmatique, l’apparente pour ma part à une représentation symbolique de ce voyage : un voyage sur un continent qui est un grand écran blanc où tout est à écrire. Comme un territoire imaginaire, où la seule chose à observer sont les ombres qu’on y laisse, celles de nos tracteurs, de nos fumées, de nos silhouettes, nos propres ombres, nos propres peurs, démons et fantasmes…
J’ai donné à Emmanuel un « second choix » d’images, qui me semblait moins intéressantes mais qui pouvaient participer à l’écriture du récit. Emmanuel a choisi certaines photos dans cette sélection pour faire avancer le récit. Tout comme il a supprimé certaines photos qui étaient importantes pour moi mais qui lui ont paru redondantes et qui – pour cette raison - auraient pu ralentir le rythme du livre.
CP. Etiez-vous d’accord sur tout ?
Emmanuel. Pas toujours. Je faisais lire les textes et les planches à François et parfois il nuançait les propos. Il modifiait aussi les mots quand c’était lui qui parlait. Mais globalement je n’ai pas le souvenir de désaccords.
François. Après notre retour d’Antarctique, nous avons laissé passer quelques temps, deux mois peut-être. Quand nous nous sommes revus et avons discuté du projet, nous étions d’accord sur une chose fondamentale, c’est qu’il fallait aborder notre relation de frère.
Pour le reste les choses ont été assez fluides. Dans cette collaboration, il me semblait évident que nous devions nous faire confiance. J’ai fait confiance à Emmanuel dans sa capacité à construire le récit (ce qu’il m’avait demandé dès le début, lorsqu’il m’a proposé de faire ce livre) et les choix parfois radicaux qu’il fallait faire, comme par exemple sur la question des photos intégrées ou non.
Tout comme nous avons fait confiance au graphiste de Futuropolis lorsqu’il nous a proposé une couverture avec une photo qui ne faisait pas partie des photographies du « premier choix ».
CP. Avez-vous pensé un moment que le projet artistique pouvait ne pas aboutir ? Y-a-t-il eu des moments de doute ? A quels moments ?
Emmanuel. Au début. Je me suis demandé comment raconter une histoire où finalement rien ne s’est passé comme prévu, où nous avons passé le plus clair de notre temps à attendre. Comment dire cette attente ? L’attente concrète, avant de partir, sur le bateau, à Concordia, mais aussi l’attente des scientifiques, des hivernants par rapport à ce qu’on allait raconter. Oui, ce livre a été très complexe à monter et j’ai douté souvent de pouvoir y arriver.
François. JE n’ai pas eu ce type de question. Il n’y avait pas de doute pour ma part que ce projet aboutirait !