CP. Pensez-vous que cette surveillance accrue sur nos faits et gestes ne peut-être qu'une intention nuisible voire criminelle plutôt que philanthropique ?
IL. Non, ce n'est clairement pas de la philanthropie. Je pense que l'intention des gouvernements est de rendre les citoyens absolument passifs. Ceux-ci se disent : "moi, je ne fais absolument rien de mal, donc au final, peu importe si l'on me surveille". Dès l'instant où les gens pensent cela, ils s'autocensurent eux-mêmes. C'est ce qui se passe en Chine lorsque le gouvernement coupe l'accès à internet. Les citoyens ne cherchent plus alors à contrôler le gouvernement, ils se laissent faire. L'objectif des gouvernements, en récoltant autant d'informations sur les citoyens c'est de faire en sorte que ces derniers s'inquiètent davantage de leur propre comportement plutôt que de celui des gouvernants.
CP. La démocratie peut-elle encore exister auprès de ces gouvernements qui nous espionnent sans cesse ?
IL. Non, je ne dirais pas que les Etats-Unis sont une démocratie et ils ne le sont plus depuis, dix ans, voire vingt ans. Ce serait plutôt, selon moi, une oligarchie. Les Américains n'ont plus le choix et ce système de surveillance bannit le principe de démocratie. Au moins, en Chine, le gouvernement est honnête ; il ne prétend pas être une démocratie. Ce qui importe dans une démocratie, c'est que les citoyens soient au courant de tout ce qui se passe au niveau du gouvernement. Et ce n'est plus le cas, vraiment !
Dans les pays occidentaux, la population s'est d'abord concentrée sur les avantages qu'apportaient les nouvelles technologies avant de s'en inquiéter alors qu'aujourd'hui il est possible de surveiller vos coups de fil, vos déplacements.
CP. Vos deux télépathes et même l'agente qui les poursuit sont attachants et à travers eux, on ressent le plaisir que vous avez certainement eu à les façonner. Comment procédez-vous pour d'emblée, entraîner le lecteur avec vous, lui faire aimer vos personnages, au-delà de leurs intentions.
IL. C'est simple, je les aime ! Je passe beaucoup de temps avec eux, ce sont presque des collègues de travail, j'établis un lien avec eux.
CP. Votre chasse à l'homme est pleine de rythme et de rebondissements. Le lecteur est emporté, captivé comme dans un thriller. Comment faites-vous pour créer la tension sans jamais cesser de divertir et de faire rire ?
IL. J'ai tendance à penser un peu de manière cinématographique lorsque j'écris mes romans. La tension est très palpable, très visuelle en fait.
Lorsque j'ai commencé à réfléchir au thème de la télépathie pour ce roman, je me suis vite rendu compte qu'il devait y avoir plein d'inconvénients à posséder ce don et c'est cela que j'ai tourné en dérision. Beaucoup pense que la télépathie est un super pouvoir (à
l'instar internet, d'ailleurs) mais plus on observe, plus on étudie ce sentiment de communication, on réalise progressivement que cela peut devenir un véritable enfer. Si vous entendez constamment tout ce que pensent les autres, vous allez avoir besoin, à un moment donné, de vivre reclus car il est insupportable de savoir en permanence ce que les gens pensent. Trop d'honnêteté nuit !
Se mettre dans la peau d'un télépathe fut plutôt cool mais c'est vrai que cela limite les possibilités narratives. J'ai dû relire mon manuscrit au moins trente fois ! Il m'est arrivé d'écrire une scène et de me dire en la relisant : " Ah non, s'il peut lire dans l'esprit des gens, ça ne peut pas se passer comme ça !" Il y a des codes propres au thriller que je n'ai pas pu utiliser.