Irina Teodorescu : "Je suis étrangère partout.
Et chez moi partout".
16 mars 2016
Après un premier roman remarqué La malédiction du bandit moustachu, Irina Teodorescu, a publié Les Etrangères chez Gaïa. L'occasion d'une nouvelle rencontre où il est question de Roumanie, de réalisme magique, du plaisir de raconter, de théâtre à venir, d'ici et d'ailleurs...
Cécile Pellerin - Est-ce qu’un deuxième roman s’écrit plus facilement qu’un premier ? Ou, au contraire, la pression (ou le succès naissant) contrôlent-ils davantage l’écriture ?
Irina Teodorescu - Non je ne crois pas. Pour moi c'était plus difficile. Pour le 1er, je ne me suis pas dit "tiens je vais écrire un roman", je me disais plutôt "tiens, est-ce que je peux écrire un roman, est-ce que je vais aller jusqu'au bout ?" Avec le 2ème je me suis dit "ok, maintenant je peux écrire un roman", mais voilà écrire un 2ème, c'est un peu plus compliqué. Evidemment cela met un peu de pression, j'avais envie que ça marche (aussi bien en tout cas que le 1er), que le lecteur revienne et retrouve le même plaisir. J'ai eu peur un moment que ce ne soit pas un 2ème roman et d'ailleurs j'ai eu besoin que mon éditrice me rassure, qu'elle me dise qu'il n'y avait pas vraiment de règles à suivre.
CP - Comment le définiriez-vous en 2-3 phrases ?
IT - Sous couvert d'une histoire d'amour, ce roman parle de la difficulté de créer ensemble, de l'exil, de l'enfance, non plutôt, de la trahison de la sortie de l'enfance. Selon moi, trois territoires définissent ce roman : l'enfance, l'amour, un ailleurs possible.
CP - Ce 2ème roman semble appartenir au genre réaliste, sauf dans la dernière partie, où il s’imprègne de fantastique. Est-ce une intention de départ ?
IT - Ah Complètement. Mon livre parle de ce qui peut se passer dans la tête de quelqu'un, autre que la pensée logique et réaliste qu'on essaie tous de garder. Par contre, je ne parlerais pas de fantastique mais plutôt de réalisme magique, d'onirisme. C'est un courant littéraire que j'aime bien, déjà présent dans le 1er roman, auquel j'associe Gabriel Garcia Marquez.
CP - Certains lecteurs ont pu être déstabilisés par ce changement, voire légèrement déçus ? Que leur répondez-vous ?
IT - Je ne suis pas là pour rassurer ni donner le bras au lecteur, ni même l'accompagner sur le chemin de la lecture. Je ne cherche pas forcément à déstabiliser le lecteur, en fait, je me déstabilise moi-même.
Au début, je suis partie avec l'idée que Joséphine, l'héroïne, ne devait pas être un personnage qu'on aime d'emblée et puis, au fil de l'écriture (qui n'est pas celui de la narration finale), je me suis mise à aimer Joséphine et donc, moi-même, je me suis trouvé déstabilisée. Aussi ai-je un peu modifié la fin initiale. En quelque sorte, je l'ai laissée plus ouverte.
Ce livre est donc une trahison de bout en bout. Je suis trahie moi-même, le lecteur est trahi. Joséphine est trahie. Lors de son enfance d'abord, par ses copines, par ses parents, par sa professeure de violon. Ensuite c'est elle qui commence à trahir. La musique d'abord, elle ne joue plus, trahit à son tour cette professeure de musique, ses parents, lorsqu'elle refuse de passer son bac. Puis elle trahit son amoureuse Nadia. Ce personnage en fait n'est pas comme Nadia le voit, trahie elle-même par sa pensée. Vous suivez ?
CP - Vous êtes-vous beaucoup inspirée de votre propre vie, de votre propre enfance pour écrire ce roman ?
IT - Pour l'enfance en Roumanie, pas vraiment. Je n'ai jamais été au conservatoire, je n'ai pas de mère française. Par contre, en tant que Roumaine, cette enfance a été très facile à imaginer. J'avais une cousine dont les parents étaient diplomates. Elle circulait beaucoup hors de la Roumanie et je la regardais parfois comme un extra-terrestre parce qu'elle avait des trucs que personne ne possédait, ni n'avait même imaginés. Par exemple, des bonbons dont même l'emballage nous faisait rêver.
Ce qui est sans doute le plus inspiré de mon propre vécu, c'est l'arrivée de Nadia à Paris. Moi-même lorsque je suis arrivée, j'ai été émerveillée. Je ne comprenais rien mais j'avais l'impression que tout était beau. J'ai été très contente d'écrire cela, de revivre ces instants.
Une fois que tu comprends la langue, cette magie s'estompe. Je me souviens avec délice de cette sensation (perdue). Certains sons sonnent encore "étrangers" pour moi. Aujourd'hui je pense en français mais parfois encore il m'arrive de penser en roumain (lorsque je suis très fatiguée) et cela me surprend, n'est jamais lié à ce que je pense. Il m'arrive même de penser en anglais (quand je me raconte des films, par exemple. Ca sonne tellement mieux en anglais !)