CP. Pensez-vous avoir changé après ce voyage davantage qu’avec un autre voyage ? Pourquoi ?
Julien Blanc-Gras. On revient toujours changé d’un voyage. Davantage ? Non, je ne pense pas même si c’est un voyage un peu à part, car c’était la 1ère fois que j’allais à la rencontre du froid. Sauf que si je dis la vérité, il ne faisait pas vraiment froid. En été, les températures oscillent entre 0° et 10 °, ce qui n’est pas extrême. C’était quand même la 1ère fois que je me confrontais à un univers polaire et l’effet de nouveauté fut quand même bien supérieur à un voyage en Espagne, par exemple.
Mais je pense que les voyages qui nous changent ce sont d’abord les voyages initiaux. Le 1er voyage qu’on entreprend, c’est généralement celui-là qui nous marque à vie. Mais je repartirais bien là-haut même si je suis toujours partagé entre retourner dans un endroit qui m’a vraiment plu ou découvrir un nouveau territoire. En général, je préfère toujours aller dans un nouvel endroit mais j’adorerais, malgré tout y retourner. Je n’ai vu qu’une toute petite partie du Groenland : Nuuk, Ilulissat et la baie de Disko. Même s’il reste un pays minuscule en matière d’habitants, ils ne sont que 57 000, le territoire est tellement vaste et difficile d’accès (il n’y a pas de routes) qu’il faudrait pas mal d’années pour bien le découvrir, je pense.
CP. Quels voyages depuis ? Pour quel prochain livre ?
Julien Blanc-Gras. Depuis le Groenland, je suis allé en Inde, en reportage puis au Népal où j’ai suivi une expédition de parapentistes dont l’objectif était de survoler le Machapuchare, une montagne sacrée de l’Himalaya de près de 7000 mètres jamais gravie. On n’a pas tout à fait réussi mais voler en altitude au-dessus de l’Himalaya, c’était chouette. Un vol un peu extrême mais que j’ai suivi comme passager. Une belle aventure et au final un reportage pour l’Equipe.
Au mois de mars, je suis allé un mois au Cameroun dans le cadre d’une résidence d’auteur avec l’Institut français du Cameroun. J’étais donc là pour écrire mais pas forcément sur le Cameroun mais j’ai pris des notes et je pense que je vais écrire quelque chose sur ce pays.
Sinon la semaine dernière, j’étais aux Seychelles pour un reportage plus touristique cette fois. Et c’est aussi paradisiaque qu’on le dit. En fait, je n’aime pas vraiment partir en vacances et lors de mes voyages, j’ai besoin de transmettre pour y mettre du sens. Cela ne m’intéresse pas de collectionner les destinations ; j’ai besoin de ce partage avec autrui.
Le prochain livre sortira le 4 septembre au Diable Vauvert et s’appelle « Dans le désert » et c’est un récit de voyage dans les pays du Golfe, principalement au Qatar mais aussi à Dubaï, Oman, au Bahreïn. J’y suis allé pendant un mois, en hiver, la température était donc supportable. Ce sont des pays fascinants car c’est un nouveau monde qui se construit là-bas avec des moyens illimités. Des pays à la pointe de la modernité et en même temps ultra-conservateurs où il n’est pas si facile de rencontrer des gens. Au point que je me suis demandé si j’allais réussir à entrer en contact avec la population locale. C’est d’ailleurs le fil de mon livre.
CP. Comment choisissez-vous vos destinations ? Qu’est-ce qui vous mène ?
Julien Blanc-Gras. Parfois c’est l’envie, parfois c’est un sujet, parfois c’est une opportunité professionnelle. Le voyage au Qatar, par exemple, est né d’une envie personnelle. Je suis parti avec mon sac à dos, ce qui ne se fait pas trop dans ce pays-là.
CP. L’écriture est-elle indissociable des voyages que vous entreprenez ?
Julien Blanc-Gras. Clairement oui. Je ne reviens jamais d’un voyage sans écrire quelque chose même si je ne pars que quatre jours.
J’ai suivi une formation de journaliste à Grenoble. J’ai démarré au Dauphiné Libéré à Gap (ma ville d’origine) et au bout de quelques mois, j’ai démissionné pour partir voyager sans but précis. Et j’ai bien fait car ce voyage au Mexique qui devait durer quelques semaines a duré finalement presque un an et à l’issue de ce périple, j’ai écrit mon premier roman, « Gringoland » (2005) qui raconte plus ou moins cette aventure-là. Premier roman qui, par la suite, en a amené d’autres.
CP. (Une dernière question suggérée par mon fils de 15 ans) Vivre coupé du monde pendant quatre semaines, sans téléphone ni internet, ç’est possible ?
Julien Blanc-Gras. Alors ! Ca fait du bien parce que la maladie de notre époque, c’est la connexion permanente et la dispersion et l’émiettement de nos cerveaux. Donc cette espèce de cure, de déconnexion numérique fait le plus grand bien pendant quelques jours. Mais comme on est tous, plus ou moins drogué, au bout d’un moment, on a tout simplement envie de prendre contact avec ses proches. D’où le chapitre sur Qeqertarsuaq, qui n’est pas la ville la plus accueillante du Groenland, où j’essaie de raconter avec humour notre difficulté pour trouver une connexion internet après quinze jours de navigation coupée des nouvelles du monde.
Personnellement, je ne pense pas qu’il faille se couper du monde, il faut au contraire se fondre au monde mais cette déconnexion temporaire a des vertus thérapeutiques, mais je ne pourrais pas vivre en ermite, loin de tout.