CP. Quel a été votre principal public ? Rural ou citadin ?
Lars Mytting. Les approches sont différentes en fonction des pays. En Norvège, ce sont les gens impliqués dans l’exploitation du bois qui le lisent principalement, ceux dont je parle dans le livre. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, le lectorat est plus urbain et il découvre davantage le livre comme un rêve, une représentation de l’imaginaire norvégien.
Susan Juul. Oui, il y a une grande différence entre le lecteur norvégien et le lecteur des autres pays européens. En effet, tous les Norvégiens lisent, en tout cas davantage qu’en France ou en Grande-Bretagne, où le lectorat est moins généralisé et s’attache plus à un genre.
Lars Mytting. En Norvège, les premières personnes à acheter le livre ne fréquentaient pas habituellement les librairies. Je reconnais que les livres que j’ai écrits jusqu’ici sont plutôt destinés à un lectorat masculin et je m’aperçois qu’il s’attache davantage à certains détails et à l’aspect narratif qu’aux contenus. Ainsi ce livre pourrait ressembler à une fiction pour hommes dont le contenu serait un catalogue d’outillage.
Susan Juul. En France, on souhaite que le livre s’adresse à un vaste public, autant à des gens qui s’intéressent au bois et qui ne lisent pas forcément qu’à l’inverse.
Lars Mytting. Mon éditeur norvégien dit que j’ai fondé une spécialité : j’écris des livres pour des hommes qui ne lisent pas de livres !
CP. Sous certains aspects, par son approche un peu philosophique et littéraire, votre livre rejoindrait assez l’inspiration poétique de Bachelard. Etes-vous d’accord avec cela ?
Lars Mytting. Lorsque l’on regarde le livre en détails, on s’aperçoit qu’il présente le bois de trois manières différentes : poétique, éthique et puis plus pratique, technique. L’aspect philosophique vient presque de lui-même quand on part du principe que la personne est placée dans un contexte temporel et naturaliste. La relation entre l’individu, les saisons et la nature apparaît de façon automatique à travers les différentes étapes du travail.
CP. Comment avez-vous procédé pour que ce livre soit à la fois si spécialisé et en même temps accessible à un large public ? L’équilibre entre technicité, poésie et encyclopédie a-t-il été simple à trouver ?
Lars Mytting. Quand j’écrivais, je me suis rendu compte que l’aspect poétique du livre s’essoufflait assez vite et qu’il fallait très vite l’étayer par des données techniques pour qu’il garde sa consistance.
Placée au début, la poésie, par sa douceur, prépare le lecteur à des données plus factuelles, plus techniques et éthiques.
Le livre s’est construit comme il existe aujourd’hui, c’est-à-dire en partant d’abord de l’aspect humain et poétique.
CP. Votre regard sur le monde a-t-il changé après cette vaste étude et immersion en pleine nature ?
Lars Mytting. Mon regard n’a pas changé. J’ai toujours cette curiosité de savoir ce qui se cache derrière les apparences. La différence, c’est qu’aujourd’hui, je me sens un peu plus optimiste. En tant qu’écrivain, je précise.
CP. Ce livre a-t-il une vocation écologiste ?
Lars Mytting. Oui on peut dire ça. Mais il faut bien distinguer le principe et les méthodes. Le livre se concentre sur les méthodes les plus écologiques pour faire correctement les choses. Par exemple, si l’on prend les citadins qui brûlent du mauvais bois dans de vieux poêles, le résultat, au niveau de la pollution est tout simplement catastrophique.
Pour ma part, lorsque je brûle du bois sec dans mon poêle, il m’arrive de sortir dehors pour vérifier les fumées et je remarque souvent à quel point il n’y a pas de fumées. A quel point on ne sent pas les émissions de gaz.
En Norvège, il y a un équilibre qui se fait assez naturellement à ce niveau. Le bois pour se chauffer est utilisé intelligemment mais de façon assez marginale, plutôt comme appoint en fait. On se chauffe à l’électricité avant tout. Les variations de température peuvent être énormes en Norvège et le besoin d’énergie doubler en un rien de temps. Donc il n’y a guère plus de deux solutions, soit la centrale électrique qui peut augmenter rapidement sa production ou bien le bois, comme complément.
La plupart des Norvégiens se chauffent à l’électricité (hydroélectrique) très bon marché ; seuls les inconditionnels se chauffent exclusivement au bois. Mais en cas de défaillance électrique ou de pics de froid, beaucoup se rabattent effectivement sur le chauffage au bois.
CP. La conception graphique de l’ouvrage est remarquable. Est-elle spécifique à l’édition française ou similaire dans chaque pays où le livre est paru ?
Susan Juul. La maquette est très différente de la maquette norvégienne. Nous nous sommes inspirés de la maquette anglaise. La version norvégienne était en imitation bois.