Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

Voir ou laisser un commentaire

LoveStarAndri Snær Magnason  Traducteur : Eric BouryZulmaISBN :  9782843047008 Parution : 08/01/2015430  pages













Le 29 avril 2016








Déroutant, difficile à enfermer dans un genre spécifique (et c'est tant mieux !), à la fois proche de la fable, du roman d'anticipation, noir et cynique ou déjanté et extravagant, souvent poétique et drôle, çà et là encore mystérieux, ce roman islandais très dense accapare rapidement votre attention, réclame, certes,  une concentration assez prononcée  par moments, mais concède au final un plaisir inattendu et une satisfaction manifeste.
Comme l'impression salutaire d'avoir été diverti avec beaucoup d'intelligence mais surtout d'avoir été éveillé à l'absurde folie de nos sociétés contemporaines.
Précipité dans un futur sombre, peu garant d'humanité et de libertés individuelles, le lecteur, devenu  visionnaire à son tour, ne peut alors qu'alerter et transmettre. Ou comment la littérature a peut-être encore le pouvoir de nous sauver du chaos. Sans se prendre au sérieux.
A une époque non définie mais très proche, en Islande, un homme très ingénieux et créatif, inspiré par le dérèglement climatique et  le dysfonctionnement soudain de certaines espèces et insectes volatiles, parvient à remplacer la production d'ondes électromagnétiques par les ondes des oiseaux, "faibles et inoffensives". Nul besoin désormais de canalisations en cuivre, de fibre optique ou de satellites, l'homme sans fil était né. Néanmoins, pour éviter tous problèmes de communication, l'individu, en contrepartie d'une mise à jour de son système d'exploitation, devient tour à tour aboyeur d'offres commerciales, "traquenard publicitaire" en louant des zones langagières de son cerveau ou des sentiments.
"LoveStar et ses experts avaient le pouvoir de soustraire les hommes à ce fardeau qu'était la liberté."
Parallèlement à cette invention redoutable, LoveStar se charge aussi de l'amour et de la mort des citoyens et bâtit  deux procédés fascinants : InLove, capable de trouver l'âme sœur, "l'autre moitié de chaque personne sur terre" et de faire disparaître les guerres et conflits. "Quand chaque petit d'homme aimera un être humain vivant aux antipodes et n'aura besoin de rien d'autre pour son bonheur, la haine et la cupidité n'auront plus leur place en ce monde".
LoveMort, véritable parc d'attractions où les morts accomplissent un dernier voyage en fusée pour devenir, lors de leur descente, des étoiles filantes puis des nuages et les poussières d'os, un excellent engrais. "Il rendait la mort plus propre, plus belle, plus grandiose et surtout plus simple."Dans cette société améliorée (où l'on peut même rembobiner les enfants au comportement jugé inadapté), conditionnée par la surconsommation et ultra-surveillée, forcément rien ne se passe comme prévu. Sigridíður et Indriði, un couple fusionnel (sans avoir pourtant été calculé par InLove), se rebelle, plus résistant que d'autres, déjoue les calculs, défie les lois de la statistique, entraîne des effets contraires et indésirables très préoccupants pour la survie du système.
Alors peut-être LoveDieu est-il la solution ultime ?
Désopilant et hallucinant, cruellement drôle, parfois si délirant que le lecteur perd pied mais peu lui importe. S'il ne suit pas avec rigueur le raisonnement parfois singulier de l'écrivain, si certaines références culturelles islandaises lui font défaut il est séduit par son énergie, sa vivacité et les méandres de la narration, volontairement alambiquée elle aussi. Désorienté mais suffisamment amusé  et interpellé pour ne pas lâcher l'histoire et se convaincre que les technologies nouvelles n'améliorent pas (toujours) la société moderne. 



Cécile PELLERIN