Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

Voir ou laisser un commentaire

Une offrande à la tempêteDolores RedondoTraducteur : Judith VernantMercure noirISBN :  9782715242388520  pagesParution : 17/03/2016













Le 27 mars 2016








Si la trilogie du Baztán approche le million d’exemplaires vendus en Espagne, si Fernando Gonzáles Molina commence le tournage du film de cette série policière, si elle se lit maintenant Outre-Atlantique et dans plus de trente-deux pays, c’est, de toute évidence, la confirmation que Dolores Redondo est devenue un écrivain incontournable de la littérature policière contemporaine.
Ancrées dans une région spécifique magnifiquement dépeinte, le pays basque espagnol, imprégnées d’une atmosphère mystérieuse finement décrite, immergées dans des croyances et légendes ancestrales précises et fascinantes, construites autour de secrets familiaux traumatisants et bouleversants, les histoires déclinées en trois romans (Le gardien invisible, De chair et d'os, disponibles en Folio), liées les unes aux autres, (même si chacune d’elles possède une intrigue particulière), révèlent un personnage principal très attirant à la personnalité complexe,  l’inspectrice Amaia Salazar.
“Elle était flic, professionnelle, aguerrie et elle avait récemment appris que le rationnel et l’irrationnel, la méthodologie policièreet les vieilles traditions, l’analyse minutieuse et l’intuition pure faisaient partie du même monde.”
A la fois éblouissante, fragile et héroïque, mystérieuse,  impossible à lâcher, elle affronte les pires criminels, se confronte sans cesse à un passé douloureux que chaque enquête réactive ; intimement concernée. Son activité professionnelle interfère sans répit dans sa vie personnelle, la met à l’épreuve, violente et déstabilisante. 
Parfois avec effroi, oppression et extrême tension, elle emmène le lecteur dans les affres de ses tourments, au plus près des détails de l’enquête, dans la noirceur des situations les plus éprouvantes, sans ménagement mais avec une intensité époustouflante  à laquelle nul ne peut résister.
Happé par le rythme énergique de la narration, saisi par les rebondissements, pénétré par la profondeur des personnages, intrigué et inquiété par l’enchevêtrement habile de la réalité et des croyances populaires, sensible aux phénomènes climatiques souvent défavorables de la région, avide de résolution, le lecteur s’enfonce dans l’histoire sans frein, captivé autant qu’éprouvé. Comme associé.
Bien sûr, ce troisième volet ne peut s’apprécier sans la lecture préalable des précédents car même si Dolores Redondo, à plusieurs reprises dans ce roman, résume avec habileté (et utilité),  certains épisodes précédents, de nombreux faits et personnages précédemment évoqués réapparaissent et évoluent.
Après le Basajaun, c’est le génie maléfique Inguma qui hante ce nouvel opus. Il apparaît la nuit et “ boit l’âme des enfants pendant qu’ils dorment”. L’inspectrice doit faire face à la mort subite d’une petite fille. Rapidement d’autres morts étranges de nourrissons dans la vallée font écho à ce drame et entraînent Salazar, une fois de plus, à pénétrer au cœur d’un passé local et familial qui ne lui laisse aucun répit, attise ses cauchemars, l’éloigne dangereusement de James, son mari et de son fils, rompt l’équilibre fragile qui la préserve de la folie. Mais c’est sans compter sur ses collègues de travail, efficaces et protecteurs, sa tante Engrasi et l’agent spécial et énigmatique du FBI, Aloysus Dupree.
Une nouvelle enquête complexe, angoissante et passionnante, entre sorcellerie et dérives sectaires, où la réalité se pare d’irrationnel mais reste plausible et convaincante, où les mystères non résolus lors des précédents romans s’expliquent enfin sans extravagance mais avec une certaine logique particulière.
“Si vous voulez y comprendre quelque chose, arrêtez de vous demander si c’est logique et commencezà admettre que c’est réel, que la foi a des conséquences sur la réalité. ”
Avec peut-être davantage d’acuité, ce roman, notamment dans sa dernière partie, revêt également une tonalité tragique presque théâtrale, rend compte d’une liaison passionnelle avec sensualité, se détache du genre purement policier, gagne en profondeur psychologique sans jamais ralentir le rythme, haletant de bout en bout. Et même si Salazar s’égare un moment et inquiète le lecteur, il ne cesse de lui faire confiance. Littéralement fasciné et subjugué.


Cécile PELLERIN